Dans La Tête Et Dans Le CUr De Thibault.
BONUS Jérém&Nico Saison 1
Dimanche 26 aout 2001, 4h08.
La nuit va bientôt se terminer et le vent dAutan na rien perdu de sa vigueur : il souffle auprès de Nico, sur le balcon de lappart de Martin, il caresse sa peau, sengouffre dans ses cheveux, essuie ses larmes, encourage ses bonnes résolutions daller une dernière fois vers son Jérém, dès le lendemain.
Cest le même vent dAutan qui souffle sur une terrasse à lautre bout de la ville, et qui caresse le torse dénudé de Thibault.
Il est tard, mais le jeune mécano narrive pas à dormir : quelque chose le tracasse. Ça fait un certain temps quil a du mal à dormir : mais cette nuit, le sommeil ne veut vraiment pas venir.
Ça fait plus dune semaine que Thibault na pas vraiment de nouvelles de son pote Jéjé : et ça linquiète de plus en plus.
Après la façon dont ils se sont « quittés » la dernière fois quils se sont vus, il ny a pas eu une heure, pas une minute où il nait pas pensé à son pote, loin de lui ; pas une minute où il nait pas ressenti en lui la déception de son pote face à son « exclusion » des poteaux du rugby toulousain ; pas une minute où il nait pas imaginé son Jéjé, malheureux, après cette bêtise de quitter Nico et de se priver ainsi de sa présence bénéfique ; pas un instant où il nait pas ressenti linquiétude que son Jéjé, désormais seul et désorienté, puisse se mettre en danger.
Depuis plus dune semaine, Thibault na pas vécu un instant sans que tout cela ne lui noue la gorge, ne lui vrille les tripes.
Alors, non, cette nuit le jeune pompier narrive pas à trouver le sommeil : il cogite, il ressasse sans cesse ses inquiétudes, il se laisse envahir par la nostalgie de cette époque où son Jéjé et lui étaient comme des frères, où leur complicité était parfaite, sans zones dombre ; et il ressent une immense tristesse en pensant que cette époque est désormais bel et bien révolue.
Seul sur sa terrasse, Thibault remonte le temps, de souvenir en souvenir, à la recherche dun bonheur perdu : un voyage dans le passé qui lamène jusquaux racines de cette amitié née dix ans plus tôt.
Le premier souvenir de son Jéjé qui se présente à lui, cest limage dun garçonnet effacé, complexé et malmené, qui souffrait en silence, à la récré, dans la cour du collège.
Touché par ce petit bonhomme, Thibault lui avait offert son amitié ; et, presque dans la foulée, le rugby. Leur amitié était née.
Thibault repense aux innombrables moments, aux souvenirs, aux rires partagés en dix ans d'amitié ; mais aussi aux embrouilles, aux prises de tête, à chaque fois réglées autour dune bière, ou sur le terrain de rugby.
Il repense au bonheur immense quil avait ressenti lors dune soirée de confidences dadolescents, une nuit où son Jéjé lui avait dit : « Tu es important pour moi
» ; des mots qui lavaient touché comme aucun autre et auxquels il sétait empressé de répondre ce quil ressentait si fort au fond de lui : « Toi aussi tu es important pour moi
».
Il repense à la joie sans limites du jour où ils avaient gagné leur premier tournoi de rugby ; au bonheur de lavoir gagné ensemble.
Jour après jour, le garçonnet effacé sétait transformé en un très très beau garçon remarqué, admiré, convoité : en un souffle, presque du jour au lendemain.
Thibault retrouve le souvenir, troublant, bouleversant, dun vestiaire daprès match, vers lâge de 12-13 ans : ce jour-là, en regardant son pote se doucher, il sétait attardé à le regarder. Et il lavait trouvé beau.
Match après match, vestiaire après vestiaire, douche après douche, Thibault navait jamais pu arrêter de regarder son pote ; il arrivait presque toujours à sarranger pour se doucher en même temps que lui. Parfois, il lui était arrivé de croiser son regard, souvent accompagné dun petit sourire, un sourire quil navait jamais su interpréter. Complice ? Amusé ? Flatté ?
Au fil du temps, il avait même appris à garder un sujet de conversation à lancer sous la douche, astuce qui lui permettait de regarder son pote, de détailler son anatomie, toute son anatomie, sans que cela paraisse inapproprié.
De plus en plus, Thibault avait « besoin » de regarder son pote : car, le regarder, le faisait sentir bien.
Un jour, il avait fait exprès de chercher son pote, de le narguer, de provoquer une réaction physique de sa part ; un autre jour, il lavait éclaboussé pendant quil prenait sa douche (ce jour-là, attirés par leur petite chamaillerie sous leau, dautres gars étaient venus jouer avec eux sous les douches, tels des labradors voyant dautres labradors nager dans une rivière ; au bout de quelques minutes, le sol du vestiaire était recouvert dune épaisse couche deau et de mousse, bêtise qui leur avait valu un bon savon, sans jeux de mots, de la part de lentraîneur).
A chaque fois, Thibault avait été heureux que son pote fasse semblant de le bousculer, quil essaie de le maitriser, quil latt par les bras, les épaules, par le cou, tout en rigolant : et à chaque fois, il avait été heureux de sentir le contact avec ce corps, avec cette peau mate et douce qui lui faisait de plus en plus envie.
Et puis, il y avait eu cette nuit, sous une tente, en camping, lété de leurs 13 ans : ce moment sensuel et Puis, très vite, son Jéjé avait été accaparé par les nanas. Et ils navaient jamais reparlé de cette nuit, comme si elle navait jamais existé.
Ce qui navait pas empêché les échanges de regards avec son pote (dans les vestiaires, sous les douches) de continuer comme avant ; ce qui navait pas empêché les désirs du jeune pompier de continuer à le hanter.
Parfois, lors des déplacements pour les matchs de rugby, Thibault sétait parfois retrouvé à dormir dans la même chambre, et parfois dans le même lit que son Jéjé.
Délice et , de redécouvrir et devoir maîtriser à chaque fois la brûlante envie de retrouver cette complicité des esprits, des corps et des plaisirs quil avait ressenti cette fameuse nuit sous la tente.
A chaque fois, lenvie était un peu plus violente, et la frustration un peu plus insupportable. Pourtant, le respect de leur amitié avait toujours freiné tout dérapage.
Thibault considérait Jéjé comme son petit frère, il avait pour lui une affection infinie : leur complicité de potes et de coéquipiers était si importante à ses yeux que jamais il naurait pris le risque de laisser ses sentiments et ses désirs gâcher cette si belle amitié.
Thibault avait fini par se dire que ce qui sétait passé sous la tente nétait quune bêtise dados, une bêtise quil fallait oublier, tout comme semblait lavoir fait son pote.
Pourtant, Thibault sétait parfois demandé si son Jéjé repensait parfois à cette nuit, et sil lui arrivait davoir lui aussi envie de retrouver le bonheur de ce moment magique.
Parfois, lors de ces fins de soirée très tardives, Jéjé avait parfois eu de gestes un peu ambigus à son égard, des gestes quils lui avaient valu pas mal de frissons et pas mal de questions.
Cétait lors de ces moments où lalcool, la fatigue et le joint rendent possibles certaines attitudes inconcevables « à jeun » ; des attitudes dans lesquelles on ne saura vraiment jamais quel rôle ont joué lalcool ou le joint.
Thibault repensait par exemple à ce geste quavait parfois son pote, après une discussion houleuse, celui de passer sa main sur ses cheveux, de le caresser, tout en rigolant : peut-être une façon de sexcuser pour la virulence de ses propos, peut-être une façon dadmettre quil avait tort
Thibault repensait à cette autre habitude de son Jéjé, avant un match important, ou après une victoire, celle de le serrer contre lui et de glisser ses mains entre son t-shirt et son dos ; il repensait à sa façon de passer un bras autour de son cou, ou dappuyer sa tête à son épaule lorsquils nétaient que tous les deux sur le canapé, devant un match de rugby.
Des gestes, amicaux, certes, mais pleins de douceur, presque de tendresse, des gestes qui lui procuraient à la fois de doux frissons et une violente frustration.
Fidèle à sa résolution de faire passer leur amitié avant tout le reste, , Thibault avait à chaque fois accepté ces gestes de son Jéjé, sans chercher à creuser plus loin, sans tenter daller plus loin.
Pourtant, cétait de plus en plus difficile pour lui de faire semblant.
« Est-ce que jaime les mecs ? » sétait parfois demandé Thibault.
Depuis son adolescence, Thibault avait toujours aimé fréquenter les nanas. Son genre à lui cétait les filles naturelles et douces, avec de la conversation ; et surtout pas les trop précieuses, les bimbos, les affriolantes, celles dont le maquillage pèse plus lourd que leur cerveau ; les « cagoles » comme les appelait son pote marseillais Thierry.
Thibault navait pas eu beaucoup de nanas dans sa vie : deux histoires qui avaient duré quelques mois, plus quelques aventures dun soir, mais pas très nombreuses. Il aurait pu en avoir plus, mais ça ne lavait jamais vraiment intéressé de remplir un tableau de chasse.
Malgré quelques déceptions, Thibault sétait toujours imaginé fonder une famille avec une femme et des s.
Mais à côté de ça, il avait toujours aimé regarder un beau garçon : au rugby, sous les douches, dans les vestiaires, au KL, au garage, dans la rue, dans le bus.
Pourtant, même si la présence dun beau mec attirait son regard et lui apportait une sorte de sensation de bienêtre, jamais il ne sétait imaginé aller plus loin avec aucun gars.
Thibault ne savait pas vraiment comment lexpliquer : avec son Jéjé, cétait différent, point. Il navait jamais ressenti ce truc pour un autre gars : cette envie de le faire rire, lenvie de laider quand il avait besoin de lui, lenvie de le rassurer, de le serrer dans ses bras quand il nétait pas bien ; lenvie de le protéger, de le caresser pour quil soit bien : cette empathie totale qui faisait que quand son pote Jéjé était bien, Thibault était bien lui aussi.
Non, aucun gars ne lui avait jamais fait leffet qui lui faisait son Jéjé ; pour aucun autre gars il avait ressenti ce « truc » qui lui vrillait les tripes lorsquil regardait son pote sous la douche.
Car cétait bien là le « problème », cette foutue envie qui allait au-delà du simple lui « faire » plaisir : cétait lenvie, inavouable, de lui « offrir » du plaisir.
Une envie que Thibault avait tout fait pour essayer de maîtriser, d, doublier.
Une envie qui lui était pourtant revenue à la figure comme un boomerang une nuit dété, un an plus tôt, dans un camping à Gruissan, une nuit où son pote sétait éclipsé en prétextant une coucherie avec une nana ; cette même nuit où il avait vu son Jéjé sortir dun mobil home, suivi dun garçon inconnu, un garçon qui lui avait rapporté sa montre, et qui avait posé un bisou dans son cou.
Cette nuit-là, le cur de Thibault en avait pris un gros coup.
Ça avait été très dur pour lui de réaliser que son pote avait les mêmes envies que lui, des envies quil navait pas su voir, malgré tout le temps passé ensemble ; ou bien « à cause » de tout le temps passé ensemble, « à cause » de leur amitié, cette amitié qui avait empêché leurs désirs similaires de se reconnaître et de se rencontrer.
Lamitié, mais quelle amitié ?
Parfois, Thibault se disait quil nétait pas vraiment honnête avec son pote, quil nétait pas lami quil prétendait être. Depuis longtemps, il lui cachait son attirance et ses sentiments ; et, désormais, il lui cachait également quil savait des choses sur lui quil était censé ignorer.
Sil avait facilement oublié lépisode du mobil home en voyant son pote revenir aux filles dès le retour sur Toulouse, un autre épisode était venu troubler le jeune mécano au cours de lhiver qui avait suivi ; cétait l« épisode Guillaume ».
Pendant une période, le cousin de son Jéjé était sorti le week-end avec eux. Thibault avait ainsi eu loccasion de remarquer comment ce Guillaume dévorait son cousin des yeux, le regard plein de désir.
Et au fond de lui, il avait toujours pensé quil se passait des choses entre son pote et ce Guillaume, lorsque ce dernier restait dormir à lappart rue de la Colombette.
Cétait pendant l« épisode Guillaume », à lautomne 2000, que Thibault avait commencé à ressentir un sentiment inattendu poindre dans son esprit : ce sentiment, cétait la jalousie.
Un sentiment qui sétait dabord emparé de lui de façon sournoise, avant de lui éclater à la figure dune façon extrêmement violente en une autre occasion, à la fin de cette même année.
Cétait arrivé un week-end de décembre, lors du dernier match avant la pause du tournoi pour les fêtes de fin dannée, un match quils avaient remporté de justesse face à une Section Paloise plutôt aguerrie.
Parmi les joueurs de léquipe paloise, il y avait ce Patxi, le demi de mêlée originaire de Saint-Jean de Luz. Un demi de mêlée, tout comme lui, Thibault.
Patxi nétait pas très grand, mais bien musclé ; il était brun, les cheveux assez courts et frisés, plutôt typé basque, avec des petits yeux très noirs, très vifs, un regard très brun, profond, pénétrant ; il portait un petit piercing à larcade sourcilière qui ajoutait un petit côté « soigné » à sa sexytude naturelle. Avec son sourire magnifique, tour à tour doux, fripon, charmant et charmeur ; avec son rire sonore, franc, spontanée, généreux, contagieux, avec un je-ne-sais-quoi din ci et là, Patxi était le genre de garçon qui dégage une joie de vivre exubérante.
Comme certains de ses co-équipiers, et malgré la défaite, le ptit brun basco-béarnais était resté sur Toulouse pour faire la fête.
Au cours de la soirée, Patxi avait très vite et très bien sympathisé avec lui, Thibault, et avec son Jéjé ; et ils avaient fini par se retrouver tous les trois, tard dans la nuit, à boire une dernière bière dans lappart de la rue de la Colombette.
Cest à ce moment là que Thibault avait ressenti ce sentiment étrange monter en lui, lui serrer la gorge et lui vriller les tripes. Cétait lorsquil avait été frappé par la nette impression que ce Patxi semployait à flatter légo de son Jéjé, quil tentait de limpressionner, presque de le « draguer » ; et que son pote, porté par la progression de son degré divresse, semblait de plus en plus admiratif de la personnalité de ce petit basque.
Plus les minutes passaient, plus il avait limpression que son pote Jéjé était conquis par les mots et par la présence de ce tchatcheur intarissable (mais, il fallait bien ladmettre, intéressant, sympathique, fûté et plutôt drôle) ; plus ça allait, plus il sentait que son pote buvait les mots de ce Patxi, quil posait sur lui ce regard attentif et admiratif quil ne lâchait pas si facilement ; ce regard dont lui, Thibault, avait été assez souvent lobjet par le passé.
Comment ça lui manquait, ce regard, depuis quelques temps !
Cette nuit-là, Thibault avait presque limpression quen quelques heures, entre son pote et ce gars sétait créé une complicité aussi forte, voire plus forte encore, que celle quils avaient tous les deux depuis tant dannées.
« Là, jai du respect, mec ! » avait lâché Jéjé, lorsque le petit basco-béarnais avait sorti un joint de sa poche. Sa voix était chargée de cette allégresse fille divresse, son regard dégageait ce sourire un peu « hébété » quil avait toujours trouvé adorables et touchants chez son pote lorsquil était saoul ou stone.
Après avoir partagé le joint à tous les trois, Jéjé avait proposé à Patxi de rester dormir chez lui.
« Si ça te fait pas peur de dormir avec un gars
» lui avait lancé ce dernier, taquin.
« Si tu me touches, je te défonce
» lui avait retorqué Jéjé, en rigolant.
« On se voit demain » avait alors pris congé Thibault, la mort dans lâme en regardant son Jéjé et Patxi en train de se dessaper.
Thibault était rentré chez lui le cur lourd, très lourd : la jalousie le dévorait de lintérieur comme un incendie de forêt en plein mois daoût.
Il navait jamais su sil sétait passé quelque chose entre son pote et le demi de mêlée palois. Pourtant, plus encore que l« épisode Gruissan », plus encore que l« épisode Guillaume », l« épisode Patxi » avait fait prendre conscience à Thibault de lexistence et de limportance de sa jalousie : car, contrairement à linconnu de Gruissan ou à Guillaume, Patxi était un gars « comme eux », un rugbyman, un mec quil naurait jamais pu imaginer être « de ceux qui sintéressent à dautres gars » ; pourtant, Patxi, « un gars comme eux », semblait vraiment sintéresser à son pote.
Pourtant, la plus grosse claque restait à venir. Elle avait percuté le jeune mécano de plein fouet quelques mois plus tard, assenée à son insu par un gars sorti de nulle part, un redoutable « outsider », le charmant et adorable Nico.
Oui, ça avait été très dur pour Thibault de voir ce petit mec débarquer dans la vie de son Jéjé ; car, en plus dêtre attiré par son pote, il était vraiment amoureux ; un petit gars qui, malgré ce que son pote voulait croire lui-même et faire croire, avait réussi lexploit darriver à représenter quelque chose dimportant à ses yeux.
Thibault repense à ce jour où son pote Jéjé lavait carrément foutu à la porte à lheure de lapéro parce quil devait « réviser » avec son camarade Nico : un comportement qui ne lui ressemblait tellement pas, et qui avait éveillé sa curiosité. En partant, il avait croisé Nico sur le palier. Et là, cétait flagrant : ce petit gars semblait si heureux de retrouver son camarade ! Cétait beau à voir
Très vite, larrivée de ce petit Nico avait remué bien des choses : assez vite, son pote avait mis un coup de frein aux aventures avec les nanas ; puis, presque du jour au lendemain, Thibault avait été confronté à un Jéjé moins disponible, et surtout un Jéjé qui avait cessé de se confier à lui sur tout un pan de sa vie.
Mais autre chose perturbait également le jeune pompier depuis larrivée de Nico dans la vie de son pote : si par le passé Thibault avait ressenti un pincement au cur en imaginant son Jéjé en train de prendre son pied loin de lui, cela était resté supportable tant quil avait été persuadé que son pote ne faisait que coucher.
Mais depuis larrivée de Nico, Thibault sétait retrouvé confronté à une situation dun tout autre genre : son pote désormais « engagé » dans une sorte de relation suivie, même si conflictuelle, une relation quil navait jamais eue avec une nana ; avec la possibilité que son Jéjé pourrait tôt ou tard ressentir des sentiments à son tour.
Sa frustration était devenue insupportable lorsquil avait réalisé que, malgré son penchant pour les garçons, son Jéjé ne sintéresserait jamais pour autant à lui autrement que comme à son pote.
Ainsi, cette nouvelle relation lui avait claqué brutalement et définitivement à la figure limpossibilité denvisager quoique ce soit avec son Jéjé, la douloureuse conscience de se heurter à tout jamais à la « barrière » de leur amitié.
Thibault avait cru pouvoir faire un transfert de ce quil ressentait pour son pote en encourageant Nico à se confier à lui, en encourageant sincèrement cette relation, en le sachant heureux avec un autre, avec ce petit Nico qui lui inspirait confiance, car il trouvait sincère et touchant : il lavait cru, il avait essayé de toutes ses forces ; mais il navait pas réussi, bien au contraire.
Ainsi, les sentiments que Nico lui avait avoué ressentir pour son pote, avaient fait écho à ses propres sentiments, les rendant encore plus vifs et brûlants : en devenant le confident de Nico, Thibault sétait retrouvé témoin privilégié dun bonheur qui lui était interdit.
Aussi, en plus de devoir cacher à son Jéjé les sentiments quil avait pour lui, il sétait également retrouvé à devoir cacher ces sentiments à Nico, à proposer son amitié, pourtant sincère, au gars qui avait pris une place dans le cur de son pote, cette place quil avait toujours rêvé davoir, lui.
Une situation intenable pour le jeune mécano, une situation qui le faisait sentir de plus en plus dans cette position du « cul entre deux chaises » qui navait jamais été son genre, lui dhabitude si franc, si soucieux dêtre droit et juste.
Amour, désir, frustration, jalousie : voilà les ingrédients du cocktail explosif qui sagitait dans la tête et dans le cur de Thibault. Un cocktail qui était devenu de plus en plus instable au cours des dernières semaines, lorsque la sensualité sétait peu à peu invitée entre son pote et lui.
Un soir, en boîte, son Jéjé lui avait proposé ce plan avec les deux nanas : sur le coup il avait été surpris et troublé par lidée (à cause de la promiscuité que cela allait amener avec son pote et aux désirs quelle allait enflammer ; mais aussi à cause du questionnement qui lui trottait dans la tête, de savoir comment Nico, également présent ce soir-là dans la boîte, allait réagir en les voyant partir tous les quatre) ; le jeune mécano avait pourtant fini par accepter.
Il lavait fait pour faire plaisir à son pote ; mais aussi, et surtout, pour partager ce moment avec lui. Thibault sétait dit que, de toute façon, avec lui ou sans lui, son pote finirait sa soirée au pieu avec une nana ou deux ; et puis, si vraiment son pote allait partir à la rentrée, il naurait jamais dautres occasions pour vivre ce genre dexpérience avec son pote.
Sur la route vers lappart rue de la Colombette, Thibault sétait dit ce soir-là, que son pote était vraiment génial davoir eu cette idée ; tous en se demandant si, en imaginant ce plan, il avait une idée derrière la tête, une idée qui ressemblerait à la sienne, celle de « partager » leur plaisir, lenvie de proximité, de promiscuité : avec la présence des deux nanas comme caution.
Thibault avait adoré partager ce moment avec son pote ; les regards, les odeurs, les contacts dépaule, les gestes et lintense beauté de son corps vibrant au rythme de livresse des sens, tendu vers la jouissance.
Mais ce quil avait adoré par-dessus tout, cétaient ces regards de plus en plus désinhibés entre son pote et lui échangés « dans le dos des nanas » ; cétait ce bras que son pote avait posé sur son épaule ; cétait cette main, cette caresse quil avait posées sur son cou, ce geste à la fois touchant et excitant et que le jeune mécano avait rendu à lidentique, geste qui avait précipité et synchronisé leurs orgasmes respectifs.
Un moment sensuel qui non seulement lui avait laissé un petit goût de reviens-y, mais qui lavait également laissé un peu sur sa faim : car, si Thibault avait bien trouvé dans ce plan une réponse à ses questions, cétait quil avait bien envie daller plus loin dans le partage du plaisir avec son pote.
Alors, quand son Jéjé, quelques temps plus tard, lui avait proposé de passer nuit avec Nico et lui, la perspective de retrouver cette complicité sensuelle avec son pote lavait poussé à accepter sans trop penser aux conséquences.
Thibault sétait dit quentre mecs, il pourrait peut-être oser des choses avec son pote quil navait pas osé en présence des filles ; et quil en serait peut-être de même pour son Jéjé.
Mais aussi, il était curieux de découvrir le plaisir entre garçons ; curieux de savoir ce que son pote aimait, et pourquoi il narrivait pas à lassumer.
Mais cette nuit-là, tout comme ça avait été le cas pour son pote, elle lui avait échappé des mains.
Cette nuit-là Thibault avait retrouvé le bonheur de regarder son pote prendre son pied, dapprocher son intimité, sa virilité ; et il avait ressenti une promiscuité encore plus forte, encore plus intense.
Cette nuit-là, Thibault avait aussi découvert un plaisir inattendu et délirant avec Nico, le même quil offrait à son pote ; cette nuit-là, Thibault avait découvert que le sexe entre garçons était génial. Tout ce qui sétait passé avec Nico, tout ce que lui avait fait découvrir Nico avait été génial : le plaisir, la douceur, la tendresse.
Dans le feu de laction, il aurait voulu aller encore plus loin, tout autant avec son Jéjé, quavec Nico ; cette nuit-là, Thibault avait eu envie de prendre son pote en bouche ; tout comme il avait eu envie de prendre Nico en bouche : mais il navait pas osé.
Il y avait plein de choses quil navait pas osé cette nuit-là ; parce que cétait sa première fois avec des mecs, parce que certains de ses tabous lavaient bridé ; et aussi, et surtout, parce que cette première expérience se déroulait avec ses deux meilleurs potes, deux potes qui nétaient pas nimporte qui lun pour lautre, mais entre lesquels il y avait un truc bien plus fort que son Jéjé avait semblé vouloir lui faire croire en lui proposant de se joindre à eux.
Thibault avait également ressenti un gros malaise vis-à-vis de lattitude méprisante et irrespectueuse de son pote à légard de Nico ; et il sen était voulu de ne pas avoir été plus ferme face à son comportement.
Car cette nuit-là, Thibault avait ressenti plein de trucs pour ce petit Nico : lenvie de le protéger, de le rassurer, de le soutenir.
Cétait troublant, cette somme et lamplitude de la gamme des sensations et des émotions que Thibault avait ressenties en une seule nuit.
Cette nuit-là, Thibault avait ressenti lamour que Nico portait à Jérém : cet amour quil connaissait de par ses confidences, mais quil avait désormais sous les yeux, vibrant, touchant ; et il avait aussi ressenti la jalousie de son pote Jéjé vis-à-vis de la façon dont le plaisir sétait échangé entre lui, Thibault, et Nico, cette jalousie qui était un peu sa façon daimer Nico : une façon inavouée, certes, mais bien présente.
Oui, cette nuit-là avait remué bien de choses dans la tête et dans le cur du jeune mécano.
Le corps de Nico, le souvenir du plaisir partagé avec lui, sa douceur, sa tendresse, sa sensualité, le troublaient ; dans sa tête et dans son cur, labsence de Nico le hantait désormais tout autant que celle de son pote Jéjé.
Après cette nuit, cétait devenu très très dur pour Thibault de côtoyer lun et lautre ; ses anciens désirs, ses anciens démons ne le quittaient plus, alors que des nouveaux étaient venu sy ajouter.
Après cette nuit, tout était parti en vrille.
Il y avait eu dabord cette branlette quil navait pas pu se retenir doffrir à son pote Jéjé, blessé à lépaule, une nuit dans la semaine avant la finale du tournoi de rugby ; une branlette qui avait failli aller bien plus loin, si Jéjé navait pas appuyé sur le bouton STOP, juste à temps.
Puis, quelques jours plus tard, le soir après la finale du tournoi, ça avait à nouveau failli dér entre son pote et lui : cette fois-là, cétait lui, Thibault, qui avait appuyé sur le bouton STOP, face à son Jéjé saoul à tomber lui réclamant carrément une gâterie, et le jetant méchamment devant son refus.
Une autre fois, la nuit après lappel du Racing, voulant empêcher son Jéjé de repartir de chez lui en pleine nuit suite à un accrochage dont Nico était lobjet Thibault sétait à nouveau retrouvé confronté à lattirance, à la tension érotique vis-à-vis de son pote : leurs fronts, leurs nez sétaient retrouvés collés, leurs désirs, confrontés ; cette nuit-là, il sen était manqué de peu, de très peu, pour que leurs lèvres se rencontrent.
Ainsi, après chaque incursion plus ou moins manquée dans lintimité de son Jéjé, Thibault avait eu le cur lourd, et sétait senti de plus en plus perdu : vis-à-vis de son pote, vis-à-vis de Nico ; et, surtout, de lui-même.
Thibault narrivait plus à maîtriser ses sentiments, ses envies ; il avait limpression que de plus en plus les choses lui échappaient des mains ; limpression quen continuant sur cette pente, le risque quun accident se produise était dangereusement élevé.
Thibault avait conscience quil jouait avec le feu. En tant que pompier, il savait que la meilleure façon de prévenir le feu est déloigner les éléments inflammables des sources de départ de feu potentielles. Le jeune pompier était réputé pour être redoutablement efficace lors des mises en sécurité des scènes daccident, et notamment dans la maîtrise des risques. Pourtant, dans ce cas précis, face au risque potentiel, il se sentait incapable de prendre les décisions nécessaires pour annuler le risque.
Thibault lavait prévu, mais il navait pas pu léviter pour autant : et l« accident » sétait produit la dernière fois quil avait vu son pote.
Le vent dAutan souffle sur la terrasse de lappart des Minimes, caresse les bras, les épaules, le torse nu du futur joueur du Stade Toulousain.
Depuis des années, Thibault avait parfois eu le cur lourd : cétait à cause de ce dont il avait envie avec son pote, à cause de ce qui ne sétait pas passé, si ce nest sen approcher parfois, en rendant sa frustration dautant plus insupportable.
Mais si depuis quelques jours le cur de Thibault est 10, 100, 1000 fois plus lourd encore, cest à cause de ce qui sest passé avec son pote, la dernière fois quil a dormi chez lui.
Et si depuis dix jours, le cur de Thibault est très lourd, il sest chargé un peu plus quelques heures plus tôt, lorsque Nico est venu lui parler.
Le bomécano ressent un nouveau malaise depuis cette rencontre, le malaise davoir menti à Nico ; ou du moins de ne pas lui avoir tout dit, comme cétait le cas déjà lavant dernière fois quils sétaient vus.
Depuis quelques temps, Thibault ne se reconnaît plus. Ne pas oser dire les choses, ne pas oser regarder la réalité en face, de ne pas savoir laffronter : tout ça, ce nest tellement pas lui !
Et même si son intention nétait que de préserver, de ne pas faire souffrir, il culpabilise davoir caché des choses à Nico, des choses qui nauraient jamais dû se produire.
Car Thibault ressent une profonde tendresse pour ce petit Nico, cet adorable Nico qui a su chambouler la vie de son Jéjé, lui apporter quelque chose dont il avait besoin, quelque chose que personne dautre na su lui apporter jusque-là.
Thibault repense à la façon dont le regard de Nico sillumine quand il parle de son Jérém : cest le genre de regard qui te fait sentir « important » pour quelquun, vraiment important.
Thibault a le sentiment quil ny aurait rien de plus doux que de sentir ce regard sur soi ; il se dit quil serait heureux, quil aurait de la chance si un jour, une nana, ou même un garçon, pouvait poser sur lui le regard plein dadmiration et damour que Nico porte sur son pote Jéjé.
Thibault comprend désormais comment sa douceur, son côté attachant ont pu toucher son pote Jéjé ; car, à cette douceur et à ce côté attachant, il y est sensible lui aussi. Nico est un garçon spontané, à fleur de peau, il est touchant, très touchant ; cest un garçon quon a envie de protéger, de câliner, daimer. Sans compter que cest aussi un garçon très sensuel ; et quau lit, cest un feu dartifice.
Thibault sait désormais que le cur de son pote est pris : car, même sil se comporte mal avec Nico, cest bien lui quil aime, et il laime vraiment ; sil souffre de partir à Paris, cest parce quil souffre de séloigner de lui ; sil souffre, cest de ne pas être capable de laimer.
Thibault est confiant quant au fait quun jour ses deux potes vont se retrouver ; et il ne veut plus être un obstacle entre eux, un obstacle pour leur bonheur.
Et il ne veut plus continuer à souffrir non plus.
Jusque-là, Thibault a essayé doublier ses envies et ses besoins à lui, de pousser ses deux potes lun dans les bras de lautre : ça lui a pris toute son énergie et il a échoué.
Depuis longtemps, il sest toujours dit quà force, il finirait par y arriver. Mais il ny arrive pas, il ny arrive plus : il narrive plus à prendre sur lui, il a trop mal.
Thibault nen peut plus de se battre contre lui-même : il a besoin de décrocher ; il a besoin de prendre de la distance pour oublier tout ça, pour tourner la page.
Thibault se dit que finalement le départ de son pote Jéjé à Paris est une bonne chose ; cest loccasion de prendre de la distance de tout « ça » ; loccasion pour oublier, comme si ça navait jamais existé.
Dailleurs, il se dit que tout irait mieux sil navait jamais ressenti ce « truc » pour son pote Jéjé.
Mais « ça », ça ne se commande pas. Lorsque lamour nous tombe dessus, cest par surprise, toujours par surprise ; il débarque de nulle part et il bouleverse lhorizon de notre cur. Il est imprévisible, insaisissable, incontrôlable : et cest justement ça qui en fait sa beauté unique, cette beauté simple et intense qui est lessence même du bonheur.
Mais face à cet amour impossible, Thibaut na plus la force de se battre : alors, cette nuit Thibault dépose ses armes. Il a besoin de toutes ses énergies pour se consacrer corps et âme dans son projet sportif. Il a besoin de jouer pour oublier. Et il a besoin doublier pour jouer.
Cette nuit, sur sa terrasse, Thibault est en train de lâcher prise. Cette nuit, le jeune pompier « dépose les armes ».
En lâchant prise, tout devient plus clair dans sa tête.
Peut-être qu« Aimer » cest aussi arriver à souhaiter le bonheur de lautre, même si de ce bonheur nous nen faisons plus partie
peut- être qu« Aimer » cest aussi accepter quil puisse être heureux sans nous
« Cher Nico, tu mas « pris » mon Jéjé mais je ne ten veux pas : un garçon amoureux, ça se respecte. Alors, prends bien soin de lui : mon plus grand souhait, cest quil retrouve ce sourire, cette joie de vivre, ce bonheur intense et beau quil a eu parfois grâce à notre amitié.
Je serais heureux de le savoir bien avec toi, même si parfois il me manquera. Son amitié me manque déjà. Notre complicité me manque.
Mais ça me rassurerait vraiment, maintenant que mon Jéjé sest éloigné de moi, de le savoir heureux dans tes bras. Garde un il sur lui, comme je lai fait jusque-là, comme je ne pourrais plus le faire, garde le pour moi
Je te fais confiance Nico, parce que tu es sincèrement amoureux, et je sais que tu ferais tout ce que tu peux pour le rendre heureux
».
« Quant à toi, mon Jéjé : vas-y, mon pote, mon grand, prends ton envol, va vivre ta vie à lautre bout du pays : fais tes preuves, amuse-toi, et vis ce que tu as à vivre.
Vas-y, mon pote, va chercher ailleurs ce « tu-ne-sais-pas-quoi », ce « tu-ne-sais-pas-où », ce « tu-ne-sais-même-pas-si-cela-existe » qui tapportera ce bonheur que tu n'as pas en toi ; va donc chercher ailleurs, ce calme de lesprit que je te souhaite de trouver mais que tu ne pourras garder en toi tant que ton cur pleurera les blessures anciennes qui te hantent toujours ».
« Peut-être quun jour tu arriveras à oublier ta colère pour ne pas avoir été retenu par le rugby toulousain ; de toute façon, jen suis sûr, tu vas très vite te révéler en tant quimmense joueur ; tu vas prendre ta revanche sur la vie et ses injustices.
Et peut-être quun jour tu auras envie de revenir me voir.
Nous nous retrouverons un jour, qui sait
».
Mais avant cela, Thibault se sent prêt et déterminé à rappeler son Jéjé, dès le lendemain, à trouver les bons mots pour désamorcer sa colère, son mal-être, ses pulsions autodestructrices ; les mots justes pour tout arranger, les bons mots pour apaiser son pote, pour lui dire au revoir. Avant de le « confier » à Nico.
La nuit va bientôt se terminer et le vent dAutan na rien perdu de sa vigueur ; il caresse le torse dénudé de Thibault, fait écho à sa tristesse, ravive sa nostalgie, appuie sur ses remords, tout en encourageant ses résolutions, si dures à assumer ; cest le même vent dAutan qui souffle auprès de Nico sur le balcon de lappart de Martin, qui sengouffre dans ses cheveux, essuie ses larmes, encourage ses bonnes résolutions à lui.
Cest encore le vent dAutan qui balaie la place du Capitole, la place Wilson, le boulevard Carnot, la rue de la Colombette, jusquà cette rue du centre-ville où une petite foule sest amassée autour dun gars à terre, inconscient, à la suite dune bagarre entre mecs bourrés.
Cest le même vent dAutan qui caresse la peau du jeune pompier, toujours réveillé, se retournant sans cesse dans son lit, cherchant sans cesse dans ses draps lodeur persistante de son Jéjé.
Dimanche 26 août 2001, 5h41
En apprenant au petit matin, par un coup de fil dun collègue pompier, que son pote Jéjé avait été secouru, inconscient, à la suite d'une bagarre, Thibault avait ressenti une terrible souffrance s'emparer de lui.
Depuis un bon moment, il savait que son pote nallait pas bien ; et il avait pressenti le risque que quelque chose puisse lui arriver. Et quelque chose de grave venait de lui arriver.
Alors, ce matin, Thibault sen veut de ne pas avoir pu, de ne pas avoir su lempêcher : il s'en veut à mort.
Le jeune pompier est tenaillé par les regrets de ne pas avoir été capable de soutenir son meilleur pote dans ce moment délicat, de ne pas avoir su lui rester proche ; mais aussi par les remords de ce quil a laissé simmiscer dans leur amitié, et qui a fini par en miner les fondements.
Thibault avait tant rêvé d'avoir un avenir dans le rugby professionnel ; mais il n'aurait jamais imaginé que le prix à payer ce serait de blesser son pote de toujours.
Pourtant, au fond de lui, il sait bien que si son recrutement au Stade Toulousain a joué un rôle, d'autres raisons sont à la base de l'éloignement de son pote.
Et dans ces raisons, il a le sentiment d'être le seul fautif.
En roulant vers les urgences de lhôpital de Purpan, les yeux embués de larmes, il repense à la dernière fois que son pote est passé chez lui, dix jours plus tôt ; il repense à sa détresse, à ses idées noires ; et il repense à cette faiblesse, sa propre faiblesse, à cette maudite erreur qui a définitivement éloigné son pote de lui.
Oui, au petit matin de ce dernier dimanche daoût, Thibault a le cur lourd, très lourd
10 jours plus tôt, le mercredi 15 août 2001, 23h49, chez Thibault.
En mode « torse nu et boxer », en attendant la fraîcheur de la nuit pour se décider à aller au lit, le bomécano est installé devant la télé, sur le clic clac du salon : ce clic clac quil na pas fermé, même si depuis plusieurs nuits son pote a découché.
Lorsquil entend la porte souvrir, et quil voit son pote débarquer, Thibault est soulagé. Et heureux.
Depuis presque une semaine, il na presque pas eu de ses nouvelles : et il commençait à sinquiéter.
Depuis presque une semaine, il na pas vu son pote : et il commençait à lui manquer.
« Alors, cétait bien Paris ? » il linterroge.
« Je nai pas été à Paris
».
« Mais tu mas pas dit que
».
« Je ny ai pas été
» le coupe sèchement son Jéjé.
Thibault nétait pas vraiment étonné de cela : il avait de suite trouvé bien bizarre ce départ précipité pour Paris, à la veille dun week-end, départ dont il lui avait parlé uniquement par le biais de quelques sms très secs.
Tout comme, très secs, lui paraissent à présent les mots et le ton de la voix de son pote.
Thibault a limpression que son pote est pas mal torché, quil est énervé, mais aussi abattu.
« Et tétais passé où ? Tas pas dormi à la Bodega ? » fait le jeune mécano pour tenter de détendre lambiance.
« Jétais à Toulouse
».
« Mais où ? »
« Ça na pas dimportance
».
« Bah, cest sympa
je commençais à minquiéter
».
« Javais besoin de prendre lair
».
« Cest quoi ce bleu ? » fait Thibault, en découvrant la trace du coup que son pote porte sur son visage.
« Cest rien, tinquiète
».
« Tu ts encore battu ? ».
« Cest rien, je te dis
» sagace Jérém, en levant sensiblement le ton de la voix et en partant très vite vers la terrasse, tout en sallumant une cigarette.
« Mais quest ce qui va pas Jé ? » fait Thibault, sur un ton ferme et bienveillant, tout en passant un t-shirt, avant de rejoindre son pote en terrasse, et de lui taxer une cigarette qui se trouve être la dernière.
« Tout va bien, très bien
» fait Jérém, amer.
« On ne dirait pas
» fait le bomécano, tout en allumant sa cigarette et en tirant une première taffe, avant de continuer : « mais putain
tu as une touche avec le Racing, tu devrais être heureux
».
« Fait chier que le Stade nait pas voulu de moi
» lâche sèchement son Jéjé.
« Je sais, je sais
mais il ne faut pas regarder ce que tu nas pas eu, il faut regarder ce que tu as eu
il y a plein de gars qui seraient heureux à ta place
tu as la possibilité de montrer ton talent à tout le monde du rugby
tu vas tout donner et dans un an le Racing sera dans le Championnat
grâce à toi, il sera plus fort que le ST
dans un an, tout le monde va te manger dans la main ! ».
« Je nai pas envie daller à Paris
».
« Ne dis pas de bêtises
»
« Je rigole pas
».
« Tu en as parlé à Nico ? »
« Je men fiche de Nico ! Quest-ce quil vient faire là-dedans ? ».
Thibault regarde son pote en train de fumer en silence : il a lair si nerveux, et si triste. Ça lui serre le cur de le voir comme ça.
« Cest ça qui te prend la tête ? ».
« De quoi tu parles ? ».
« Je te parle du fait de laisser Nico à Toulouse
».
« Tu me saoules, tu dis nimporte quoi ! ».
« Je ne crois pas
».
« De toute façon cest fini
je lai largué
».
« Mais pourquoi ça ? » sétonne Thibault.
« Parce que ça ne rime avec rien
rien du tout ! Parce que cétait une connerie et jaurais dû arrêter tout ça bien plus tôt
ça naurait même jamais dû commencer ! ».
« Pourquoi tu dis ça, Jé ? Nico a besoin de toi, mais toi aussi tu as besoin de lui
».
« De toute façon, je nai rien à lui offrir
je ne pourrais jamais être le genre de gars quil lui faut
et puis, je vais avoir une nouvelle vie à Paris
je vais tout recommencer à zéro
je veux redevenir le mec que jétais avant
à Paris, il ny aura que des meufs dans mon pieu ! ».
« Tu tiens à lui quand même
et lui, lui est fou de toi
».
Jérém se tait, le regard dans le vide.
Les deux potes fument côte à côté, appuyés à la rambarde de la terrasse, en silence. Thibault ferme les yeux et écoute les bruits légers de la nuit, la respiration de son pote, ses inspirations, ses expirations. Le parfum de son déo mélangé à lodeur de cigarette arrive à ses narines et provoque une petite tempête dans son cerveau.
Il a horriblement envie de le prendre dans ses bras et de le rassurer. Il cherche les bons mots pour lui redonner le moral, tout en essayant de résister à cette tendresse infinie qui laimante vers lui.
« Je ne sais pas ce qui m'arrive
» fait Jérém de but en blanc, la voix cassée par les larmes, tout en se tournant légèrement vers Thibault.
Immédiatement, le jeune pompier jette sa cigarette fumée tout juste à moitié et le serre fort contre lui.
Dans ses bras, les tensions se relâchent, et des sanglots silencieux résonnent dans la nuit.
Ça fait bien longtemps que Thibault na pas vu son pote pleurer. Et ça lui déchire les tripes.
« Je ne veux pas devenir pd
».
« Dis pas ça, dis pas ça ! Tu es un vrai mec, un sacré bonhomme, et rien ne pourra changer ça
».
« Je ne suis rien
».
« Si, tu es mon pote, mon plus grand pote
et quoi quil arrive, tu seras toujours mon pote Jéjé
».
Thibault le serre encore un peu plus fort contre lui ; le jeune pompier est ému ; mais aussi troublé.
Troublé par le contact du visage de son pote dans le creux de son épaule ; par lodeur de sa peau, par le contact de son torse contre le sien ; par la proximité de son cou, de cette oreille qui semblent appeler le contact avec sa bouche ; par la proximité avec ses cheveux qui semblent implorer la caresse de sa main.
« Si tu savais comment cest dur
» fait Jérém, en sanglotant nerveusement.
Thibault le serre très fort contre lui.
« Il ne faut pas se prendre la tête comme ça
laisse-toi aller, Jé, arrête de te faire du mal
arrête de te punir
».
« Ça me dégoute
je me dégoute
parfois j'ai envie de me foutre en l'air
».
« Regarde-moi, Jé
» fait Thibault en repoussant immédiatement et fermement son pote.
« Regarde-moi, je te dis ! » insiste le jeune pompier jusquà capter le regard de son pote : « ne dis pas ça, ne le dis même pas pour rigoler
tu es un sacré mec
tu as tout pour toi
tu as toute la vie devant toi
tu peux tout faire, tout réussir
tu es beau, intelligent, adroit, malin, tu as un talent fou pour le rugby et pour tout un tas dautres choses
tu peux tout faire
Et en plus tu as la chance davoir un mec qui est dingue de toi et ce, malgré ton caractère de cochon
et ça, putain, cest beau et précieux
ne gâche pas ça
».
Jérém se tait, la respiration saccadée, fébrile.
« Et puis, noublie pas que tu mas, moi ! Tu comprends, Jé ? Tu mas, moi ! Quoi quil arrive, je serai toujours là
tu es comme mon frère et je te soutiendrai toujours.
Mais, ne fais jamais la connerie de vouloir partir trop tôt
ce serait un gâchis sans nom
tu as tellement de belles choses à accomplir, tellement à offrir à la personne qui partagera ta vie
Ne fais jamais ça, Jé
tu ne serais plus là pour le voir, mais je serais malade tout le reste de ma vie ! Je serais mort à lintérieur, en me demandant pourquoi je nai pas su tempêcher de te foutre en lair
».
« Tu es vraiment un pote en or, Thib ».
« Toi aussi tu es un pote en or, Jé ».
Jérém met fin à leur étreinte et il rentre dans lappart ; épuisé, il sallonge sur le clic clac.
Thibault sallonge à côté de lui et le serre dans ses bras.
La détresse de son pote le touche, sa proximité le bouleverse.
Rester là, juste lun contre lautre, le corps chaud et musclé de son pote contre le sien, le bonheur de cette douceur familière et apaisante qui se dégage de sa peau, de sa présence de mec, de la douceur de ses cheveux bruns : rester là, en silence, en laissant la tendresse exprimer ce que dix-mille mots ne sauraient mieux formuler.
Peu à peu, sa respiration sapaise, ses muscles se détendent : moment de bonheur tellement intense à appeler ses larmes.
Un bonheur qui ressemble à une petite ivresse, une ivresse dans laquelle Thibault se sent perdre pied.
Ses lèvres frémissent, hésitent ; avant de céder à lémotion.
Un bisou léger, puis deux, puis dix, se posent sur le cou de son pote.
Cest tellement bon, quil ne peut plus sarrêter ; dautant plus que son Jéjé semble accepter cette marque de tendresse et daffection.
Pourtant, au bout dun moment, si court et si long à la fois, Jéjé se retourne brusquement.
« Je suis désolé
» tente de se justifier le jeune mécano, surpris, le cur tapant à tout rompre dans sa poitrine.
Son pote se tait, le regarde droit dans les yeux. Et, contrairement à ce quil avait craint, ce quil voit dans la pénombre, le rassure.
Le regard de son Jéjé nest pas fâché : cest un regard doux, touchant, un regard qui accroche le sien et qui le fait fondre.
Les deux garçons se fixent pendant un long instant, en silence. Et puis cest comme une évidence : Jéjé avance son visage vers le sien ; les fronts se rencontrent, les nez se retrouvent, à nouveau.
Puis, à linitiative de Jéjé, les lèvres seffleurent.
Le mouvement marque une pause : Thibault hésite. Jérém revient à la charge.
« On ne peut pas faire ça, Jé
» chuchote ce dernier, se faisant violence pour résister aux flots impétueux du désir et de lamour.
« Jai envie » fait Jérém, alors que sa main se faufile déjà sous le t-shirt de Thibault.
« Tes vraiment sûr ? » fait Thibault, sur le point dêtre emporté par la tempête des sens.
« Tas pas envie ? ».
« Oh si
» souffle Thibault, à bout de sa capacité à se contrôler.
« Moi aussi
» chuchote son pote, tout en posant des bisous tout doux dans son cou.
Thibault se sent définitivement perdre pied face à la puissance ravageuse de son désir.
Les lèvres se pressent les unes contre les autres, dabord timidement ; puis, très vite, se cherchent avec une fougue dévorante.
Les baisers, les caresses ; les uns et les autres, sont doux, puis sensuels.
La nuit avance et les corps musclés senlacent, saiment, soffrent mutuellement douceur, tendresse, plaisir ; et les jouissances des deux jeunes mâles se mélangent dans un feu dartifice sensuel intense et émouvant.
Lorsque Thibault ouvre les yeux, le jour pointe déjà son nez. Il regarde sa montre. Il nest que 6h30. Mais son pote Jéjé est déjà parti.
Quelques heures plus tard, le jeune mécano sera contacté par le Stade Toulousain.
Excellente nouvelle, pourtant si difficile à annoncer à son pote.
Un court et sec échange dsms sera le dernier contact entre Thibault et son Jéjé, avant la bagarre que, dix jour plus tard, viendra changer bien de choses dans la vie de chacun.
Bonjour à vous tous,
les amis de Jérém&Nico,
l'équipe Jérém&Nico,
les tipeurs de Jérém&Nico,
les 100 de la mailing list de Jérém&Nico,
tous les lecteurs de Jérém&Nico,
Merci à vous tous pour avoir rendu cette aventure possible : de par votre aide précieuse, votre contribution financière nécessaire, votre présence et votre fidélité.
Jespère que vous avez apprécié ces derniers épisodes de la saison 1.
Avant dentreprendre lécriture de la Saison 2, jaimerais avoir votre ressenti sur les derniers épisodes, sur la final de la saison 1, savoir comment vous lavez perçu, et aussi avoir vos impressions sur la saison 1 dans son ensemble.
Quelques lignes seulement seront les bienvenues, vraiment bienvenues.
Merci davance !
Vous pouvez vous exprimer via mon mail, fabien75fabien@yahoo.fr, ou bien prendre partie à la soirée Facebook qui se déroulera le mardi 29 mai à 21h00.
Après 4 années décriture très intense, je vais prendre quelques mois de pause : pour souffler un peu, tout en travaillant à lédition papier/epub de Jérém&Nico et à lécriture de la Saison 2.
Le premier livre de Jérém&Nico va paraître en juillet 2018.
Si vous voulez aider le projet Jérém&Nico, vous pouvez précommander votre copie livre ou epub (merci à ceux qui l'ont déjà fait) ou choisir des tips mensuels sur la nouvelle page tipeee :
www.tipeee.com/jerem-nico-s1
Merci davance !
RENDEZ VOUS pour la SAISON 2 de JEREM & NICO en septembre 2018 !
Plus de détails (et peut-être quelques surprises) pendant l'été, sur :
jerem-nico.com
Passez un excellent été et prenez soin de vous !
Fabien
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!